samedi 29 novembre 2008

Pourquoi s'abstenir?

Voici un texte tiré du blog du comité abstentionniste de l'UQAM. Salutations à nos camarades uqamiens.

Pourquoi s'abstenir?

Un rendez-vous raté entre nous et la classe dominante canadienne, voilà ce que furent les élections du 14 octobre dernier. Près de 40% des électeurs et électrices qui ont refusé de participer à cette mascarade. Ce taux d’abstention record ne représente pas une paresse mais un ras-le-bol. Ne pas voter est un acte politique, il est refus de cautionner un ordre des choses qui ne nous plaît pas.

Et voilà qu’une autre campagne électorale a débuté. Le parti libéral désirant une majorité de sièges, nous revoilà en élections. Les promesses pleuvent sur la santé et l’éducation, alors que PQ et PLQ ont, il n’y a pas de cela si longtemps, passé la tronçonneuse dans ces services. La menace adéquiste est loin derrière, la possibilité d’un référendum est écartée et les mêmes vieilles idées sont lancées dans l’espace public avec un enrobage différent. Rien ne mobilise, la participation sera basse et cela nous réjouit. Tout ça, sur fond de crise financière : résultat normal d’un système économique qui se fonde sur l’extorsion du travail de la majorité, sur la spéculation et l’accumulation sans fin de capitaux par une minorité.

Celle-ci qui met en évidence deux réalités. Premièrement, que la société est constituée de classes en lutte. Les travailleurs et travailleuses, les sans-emplois et en face, ce qui constitue la classe dominante : grands propriétaires d’entreprises, spéculateurs, hauts gestionnaires. Une rivalité que vient occulter l’élection d’une part, par des discours sur la grande famille-société et d’autre part, en nous plaçant sur un pied d’égalité le temps du vote. La gauche électoraliste y participe tout autant. Deuxièmement, que les partis politiques ont des liens directs avec l’élite économique et forment donc leurs représentants. Leur réaction face à la crise est sans équivoque : il faut sauver l’économie, nous serrer la ceinture pour renflouer les poches de nos voleurs. On l’a vu aux États-Unis : l’amitié des démocrates et des républicains pour sauver les entreprises, les grandes banques et les grandes corporations. Un plan de 700 milliards ! Ici, au Québec, ce sera moins impressionnant mais tout aussi claire : les partis électoralistes sont les représentants de la classe dominante.

Ce qu’ils désirent, c’est notre appui à leur État. Cette grosse machine de domination d’une classe sur une autre. Dans laquelle se greffent de hauts fonctionnaires, technocrates que nous n’élisons pas et qui pourtant, prennent des décisions cruciales. Un État qui a comme cœur un parlement où siègent des députés auxquels nous offrons notre pouvoir lors du vote. Là réside bien le jeu, leur laisser notre force. Sur un système économique basé sur l’exploitation se superpose un système politique fondé sur l’extorsion de notre pouvoir. Ce pouvoir concentré, l’État le fait intervenir contre nous à toutes les fois que la police brise nos grèves, nos luttes et par la promulgation de lois d’exception (lois anti-terroriste, loi des mesures de guerre) attaquant ces Droits le légitimant.

Les campagnes électorales se vivent donc comme un nuage occultant cette réalité. Elles n’apparaissent que comme spectacle bien orchestré. Avec la participation de firmes de sondages et de marketing, des moyens techniques massifs sont mis en branle pour nous transformer en électeur, spectateur de la joute du pouvoir. Le tout se clôture dans le vote, acte individuel par excellence dans lequel nous pensons pouvoir lâcher notre frustration mais qui n’est, en ce sens, que soupape de la vapeur de la collision sociale. Pensons à ces employés de l’État qui, en 2005, après avoir été lessivé par le gouvernement Charest, ont promis « de se venger dans les urnes ».

À ce mot d’ordre aseptiseur, nous rétorquons que notre pouvoir est dans la lutte révolutionnaire. Lutte qui se joue en dehors de l’État, face à lui, contre la classe dominante. Contre le capitalisme, contre la démocratie des riches, nous voulons la démocratie directe et le plein contrôle sur nos moyens de production. Aucune réforme ne peut y parvenir, seule notre organisation en tant que classe peut le faire. L’abstention est, en ce sens, un premier acte politique vers la pratique révolutionnaire.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Voici un texte que je vous invite à débattre... je suis curieux d'une réponse de votre part.

Javier


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Gauche socialiste et la voie parlementaire
(ou pourquoi ne pas s'abstenir, au Québec, en 2008)



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www.lagauche.com

7 décembre 2008

par David Mandel

Le 30 novembre dernier avait lieu une réunion publique avec différents représentants de la gauche radicale au Québec. Le titre de la rencontre : « La voie parlementaire est-elle le terrain de lutte de la classe ouvrière ? ».

Vous trouverez ci-dessous la transcription de l’intervention de David Mandel qui était sur le pannel pour Gauche Socialiste.


« La voie parlementaire est-elle le terrain de lutte de la classe ouvrière ? »

Pour donner une réponse cohérente à la question, il faut d’abord la reformuler pour préciser davantage ce qu’on demande. Est-ce qu’on demande si, dans le cadre de la démocratie capitaliste, un parti ouvrier devrait participer à la lutte électorale et parlementaire ? Ou bien est-ce qu’on demande si la voie parlementaire peut amener au socialisme ?

A la première question – si, dans une démocratie capitaliste, un parti ouvrier devrait participer aux luttes électorales et parlementaires – la réponse du courant marxiste auquel j’appartiens est affirmative : il faut y participer, à moins que la société se trouve déjà dans une situation révolutionnaire, ce qui n’est évidemment pas le cas aujourd’hui. Mais cela ne règle pas la question, parce qu’il faut encore préciser de quelle manière participer et dans quels buts. J’y retournerai tantôt.

A la deuxième question – si la voie parlementaire peut amener au socialisme – la réponse est également sans équivoque : la voie parlementaire ne peut pas amener au socialisme. Et cela avant tout pour la simple raison que la bourgeoisie ne le permettrait jamais. Dès qu’elle se rendra compte que ce système politique ne lui permet plus de défendre ses intérêts vitaux, elle y renoncera en faveur du sabotage, de la répression, de la dictature. Il faut aussi reconnaître que les gains que la classe ouvrière et ses alliés peuvent faire dans le cadre de la démocratie capitaliste, quoique réels et souvent significatifs, resteront toujours partiels et précaires.

Mais malgré cela, et malgré que la lutte parlementaire ne puisse libérer les travailleurs et les travailleuses de l’exploitation ni renverser la tendance à la dégradation sociale et à la destruction de l’environnement, nous soutenons qu’il faut y participer, si nous voulons que la classe ouvrière et ses alliés soient un jour en mesure de réaliser la transformation socialiste souhaitée. Une classe qui est incapable de se poser des buts même limités et de les réaliser dans des conditions de liberté relative pourrait à peine se poser un but de l’envergure de la transformation révolutionnaire de la société.

Tant que les libertés politiques sont plus ou moins respectées, et à moins que la société ne soit déjà dans une situation révolutionnaire, un parti ouvrier ne peut pas refuser la participation à la lutte parlementaire et électorale. Cela pour la simple raison que si ce parti est incapable de convaincre les travailleurs et les travailleuses de voter pour lui afin de gagner des réformes, mêmes partielles, ce parti ne pourrait certainement pas les mobiliser en faveur d’une révolution et du socialisme… A moins que nous ayons affaire à un groupe conspirateur qui cherche à prendre le pouvoir au nom de la classe ouvrière afin de éclairer celle-ci par la suite – une stratégie néfaste que Marx lui-même a mis pas mal d’effort à combattre.

La vraie question est donc : comment devrait-on participer à la lutte parlementaire et quelle place elle devrait-elle occuper dans une stratégie globale qui vise le socialisme. L’un des concepts politiques centraux du marxisme est « le rapport de forces entre les classes ». Ce rapport est une chose complexe, à laquelle contribuent bien des facteurs variés, tant matériels qu’idéologiques, tant subjectives qu’objectives. Mais c’est le rapport de force entre les classes qui détermine en dernière analyse la situation de la classe ouvrière : l’état de ses droits sociaux et politiques, le niveau d’exploitation dans la société, la force de l’emprise de l’idéologie dominante sur la conscience populaire, et bien d’autres choses.

Nous ne nous faisons pas d’illusions : la bourgeoisie jouit d’énormes avantages dans le cadre de la démocratie capitaliste. Pour n’en mentionner que les plus importants : elle contrôle l’économie ; elle contrôle également les médias de masses ; elle jouit de la sympathie des hautes sphères des appareils étatiques, y inclus des appareils de répression, la police et l’armée ; elle a l’appui d’alliés internationaux très puissants. Ces avantages rendent des victoires électorales d’une gauche anticapitaliste extrêmement difficiles. Et même quand cette gauche remporte des victoires électorales, celles-ci — à elles seules — ne peuvent changer de manière significative le rapport de force dans la société. Quelqu’un l’a bien exprimé : « les élections donnent le droit de gouverner, mais non pas nécessairement le pouvoir de gouverner ». Ce pouvoir dépend du rapport de forces global, et avant tout au sein de la société elle-même.

Bref, les victoires électorales, même si elles contribuent au rapport de force entre les classes, ne peuvent pas en elles-mêmes le modifier radicalement.

La vraie question est donc : comment participer à la lutte électorale et dans quels buts ? Il devrait être évident que la lutte électorale ne doit pas constituer un but en soi. Les luttes électorales et la participation au parlement doivent être subordonnées à une stratégie qui vise à changer le rapport des forces au sein de la société en faveur de la classe ouvrière, de sorte que celle-ci puisse se donner des buts toujours plus ambitieux, jusqu’au moment où elle pourra poser réellement la question de la transformation socialiste de la société.

La participation aux élections doit donc servir en premier lieu à renforcer la capacité de mobilisation des forces populaires, à élargir leurs perspectives et leurs ambitions, à renforcer leur confiance en elles-mêmes, à les réunir derrière des revendications qui vont à l’encontre de la logique du capital et qui remettent en cause son pouvoir. Cela devrait également le rôle prioritaire des députés de gauche élus au parlement.

Il s’agit donc d’un parti qui cherche à devenir un véritable mouvement politique, enraciné dans les mouvements sociaux, tout en respectant leur autonomie ; un parti qui participent aux luttes électorales et parlementaires dans le but de renforcer ces mouvements et de les rassembler derrière une vision commune de transformation radicale de la société.

La construction d’un tel parti et l’élaboration d’une telle stratégie est une chose extrêmement complexe et difficile, et d’autant plus dans une période de démobilisation populaire relative, comme celle que nous vivons depuis un quart de siècle. Le capitalisme est un système en mutation constante : Marx et Engels ont écrit que le capitalisme révolutionne constamment les rapports de production. Cela signifie que même si nous devons tirer des leçons des expériences du passé, nous nous ne pouvons pas répéter ces expériences. Il faut constamment rénover les stratégies, même si les principes de base de notre action restent constants.

En même temps, il faut reconnaître sur la base de l’expérience historique que la démocratie libérale à une très grande capacité de récupération des forces contestataires. Contre cela il n’existe pas d’immunité certaine. La participation de révolutionnaires aux institutions de l’Etat bourgeoisie est une démarche par sa nature même contradictoire. A ce sujet, les anarchistes ont le mérite de souligner les dangers. Le problème est que leur solution – l’abstention – n’est pas une solution. Il n’y a que le fonctionnement démocratique des organisations ; la formation d’une base de militants et de militantes arméEs d’une analyse réaliste de la société et de l’État capitalistes ; et la résistance consciente à la tentation, toujours forte, de se transformer en machine électorale et de subordonner le parti à son aile parlementaire.

L’histoire montre que le risque de récupération est toujours réel. Mais l’alternative est une gauche anticapitaliste qui traîne une existence politique marginale sans influence significative dans la société.

Anonyme a dit…

Salut,

Je viens de voir qu'un camarade de GS a posté un texte, moi je vous en poste un autre! Celui-ci résume la position de notre courant politique fasse aux élections:

Extrait:
(...) « Historiquement », insiste Lénine dans sa polémique avec les communistes de gauche allemands, les formes parlementaires ont sans aucun doute fait leur temps. Mais « politiquement », c’est « une autre affaire » : « Tant que vous n’avez pas la force de dissoudre le Parlement bourgeois et toutes les autres institutions réactionnaires, vous êtes tenus de travailler dans ces institutions précisément parce qu’il s’y trouve des ouvriers abêtis par la prêtraille et par l’atmosphère étouffante des trous de province ; autrement, vous risquez de n’être plus que des bavards ».(...)

http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article1641

Faut-il participer aux élections ?


BENSAÏD Daniel , L’Organisation politique
juillet 2005
Entretien avec « La Distance politique », revue de l’Organisation politique (France)

Pour l’Organisation Politique, ne pas participer aux élections est une question de principe. Tel n’est pas ton avis, tel n’est pas l’avis de ton organisation, la Ligue Communiste Révolutionnaire. Considères-tu cette divergence comme importante ou mineure ?

La divergence porte moins sur la participation ou non aux élections que sur le fait d’en faire une question de principe au lieu d’une question concrète, de moment politique (de conjoncture) et de rapports de forces. Evoquer Lénine en la matière ne vaut pas argument d’autorité, bien sûr. J’en reste cependant à la manière, tactique et non principielle, dont il aborde la participation aux élections à la Douma : pour le boycott en 1905, pour la participation en 1906 et 1907 (entre les deux, ce n’est pas la « nature » réactionnaire du parlement tsariste qui a changé, mais la situation du front de classe) ; pour la convocation d’une assemblée constituante en février 1917, pour sa dissolution en décembre. Ce qui est en jeu dans ce pragmatisme, c’est moins une question de principe qu’une conception de l’action politique elle-même et de la stratégie comme art du temps brisé, de la discordance des temps.

« Historiquement », insiste Lénine dans sa polémique avec les communistes de gauche allemands, les formes parlementaires ont sans aucun doute fait leur temps. Mais « politiquement », c’est « une autre affaire » : « Tant que vous n’avez pas la force de dissoudre le Parlement bourgeois et toutes les autres institutions réactionnaires, vous êtes tenus de travailler dans ces institutions précisément parce qu’il s’y trouve des ouvriers abêtis par la prêtraille et par l’atmosphère étouffante des trous de province ; autrement, vous risquez de n’être plus que des bavards ». Il faut certes faire la part du contexte historique au lendemain de la Guerre mondiale. Le raisonnement, qui s’applique aussi au militantisme dans les syndicats, voire en Angleterre dans le parti travailliste, renvoie à des questions de méthode générales et à une conception de l’action politique inscrite dans la durée, dans les flux et reflux de la lutte des classes, irréductible aux seuls moment paroxystiques de la crise révolutionnaire. D’autant que l’irruption et les modalités de cette crise ne sauraient être prévues. C’est pourquoi « la classe révolutionnaire doit savoir pendre possession de toutes les formes et de tous les côtés de l’activité sociale ». Lénine cite en exemple l’affaire Dreyfus comme révélatrice d’une crise globale des rapports sociaux qui fut sur le point de déclencher une guerre civile.

La politique pratique n’est pas déductible de principes sans médiations. Une stratégie sans tactique reste une abstraction, et la tactique ne saurait être déduite du« le seul sentiment révolutionnaire » : elle doit être « tracée de sang-froid en tenant compte de toutes les forces de classe dans un Etat donné ».

La divergence sur ce point est-elle importante ou mineure ? Cela dépend. Du point de vue de ce que l’on peut faire en commun (c’est notre expérience depuis de longues années avec certains courants libertaires), elle est secondaire, sans être mineure, par rapport à ce qui peut nous réunir dans les luttes sociales ou internationales. Il y a en revanche des circonstances (septembre 1971 au Chili, mars 1933 en Allemagne, les élections du front populaire en Espagne en 1936) où l’indifférence et l’abstention peuvent avoir des conséquences graves.

Si mystificateurs soient-ils, les rapports de forces électoraux sont, a fortiori dans des pays de longue tradition parlementaire, une composante des rapports de forces et un terrain, non le principal, d’apprentissage. Abandonner ce terrain peut sembler préserver une pureté principielle. Mais c’est aussi reproduire une division du travail entre social et politique, reconduire les formes de délégation (et de professionnalisation) représentative, et cantonner les mouvements sociaux dans un rôle de lobbys subalternes par rapport aux institutions, en somme tomber dans une « illusion sociale » symétrique à « l’illusion politique » que Marx dénonçait chez Bauer. On le vérifie périodiquement : ceux et celles qui sont mobilisés dans des luttes radicales et vouent les appareils réformistes aux gémonies, finissent, faute d’alternative, par voter pour eux, « par défaut », à contrecœur, au nom du moindre mal, « en se pinçant le nez », en jurant bien sûr que c’est bien la dernière fois : déprimant cercle vicieux ! Qu’on ne brisera pas par le mépris distancié.

Quelle justification donnes-tu à la participation régulière aux élections, par le vote et par la présentation de candidats ? Est-ce la doctrine léniniste d’un usage propagandiste (une tribune), ou est-ce davantage ?

L’un des points du différend porte sur la relation déterminée de l’événement à ses conditions de possibilité. C’est ce qui distingue l’événement politique du pur miracle théologique. Les masses ou peuple apprennent plus en quelques jours ou quelques heures de crise révolutionnaire qu’en des années de routine parlementaire et syndicale, Elles se métamorphosent au feu de l’expérience. Il n’en demeure pas moins, quoi qu’en dise la chanson, que cela ne suffit pas à transformer le rien en tout. On ne passe pas de l’inexistence syndicale et électorale à l’hégémonie par la seule magie de l’événement. On ne franchjt pas le Rubicon sans élan., sans avoir travaillé patiemment à « convaincre les retardataires au lieu de se séparer d’eux ». C’est tout le sens du tournant dit du « front unique » lors du troisième congrès de l’Internationale communiste, en réponse à l’aventure désastreuse de l’action putschiste de mars 1921 en Allemagne.

Le problème n’est pas dénoncer les illusions parlementaires, mais de trouver le meilleur moyen de les dissiper effectivement. Disputer le terrain piégé des élections peut y contribuer mieux que l’abstention. Les intermittences événementielles de la politique ne suffisent pas à accumuler les forces et la confiance nécessaires.

Concevons nous la participation au jeu de la représentation électorale comme une simple tribune ? Au-delà des effets de tribune, il s’agit cependant, fût-ce en pointillés, de dérouler un fil conducteur dans la durée, d’établir un lien visible entre les discours et les luttes. Le risque encouru est bien sûr celui de la cooptation, de l’absorption institutionnelle. Ce risque n’est pas moindre pour les syndicats ou les organisations « non gouvernementales », également exposées aux phénomènes de bureaucratisation. Que resterait-il, pourtant d’une politique sans syndicats, sans partis, sans élus, si ce n’est un témoignage éthique ?

Dans des pays où les institutions parlementaires font partie depuis plus d’un siècle des médiations et des casemates grâce auxquelles se perpétue l’hégémonie des classes dominantes, la participation électorale est un peu plus que l’usage éclairé d’une tribune. La simple dénonciation ne suffit pas à mettre à nu les subterfuges et les sortilèges du système. L’extériorité de principe envers les institutions protège des dangers professionnels du pouvoir, elle ne permet pas de déplacer les lignes. En définitive, le renoncement à disputer tous les terrains de la lutte des classes, y compris les plus compromettants, contribue à reproduire la logique mortifère du moindre mal : « il faut bien » voter pour la gauche reniée, « on n’a pas le choix », il ne faut pas faire la politique du pire, etc. C’est la logique même de l’éternel retour du réformisme gestionnaire.

Quels arguments peux-tu mettre en avant pour l’appel à voter, non seulement pour des candidats qui présentent ta politique, mais même pour des candidats très éloignés, voire des gens tenus par toi pour des ennemis de longue date, comme Chirac ?

Si la non participation électorale n’est pas une question de principe, la participation ne l’est pas davantage, ni la consigne de vote. En 1981, nous avons appelé à voter Mitterrand au deuxième tour pour chasser Giscard et mettre un terme à un quart de siècle de pouvoir sans partage de la droite. En 2002 au Brésil, nous avons soutenu Lula, malgré les engagements de sa « lettre aux Brésiliens » comme la première candidature issue des luttes ouvrières et populaires contre la dictature. En revanche, en 2002, nous n’aurions pas appelé positivement à voter Jospin s’il avait été présent au deuxième tour.

Quelle définition donnerais-tu aujourd’hui de « la gauche », qui justifierait éventuellement qu’on se situe dans un camp ainsi désigné, y compris électoralement ?

Deleuze prétendait que ce qui différencie la gauche de la droite, c’est que la gauche « a besoin que les gens pensent » et que son rôle est « de découvrir un type de problèmes que a droite veut à tout prix cacher ». Si tel était le cas, il faudrait en conclure que la gauche « réellement existante » est de moins en moins de gauche.

Je me méfie de la pensée classificatoire et des définitions formelles. La notion de gauche est une notion spatiale (d’origine parlementaire) et relative. Elle se situe par rapport à une droite. Ainsi Fabius est à la gauche de Bayrou (pas toujours) et Emmanuelli à la gauche de Strauss-Kahn, comme le Nouvel-Obs est à la gauche du Point, ou Le Monde à la gauche du Figaro. Ces différences tendent se dissoudre dans un vaste centre-droit et centre-gauche, dans une gauche du centre qui se rapproche, au nom de la « troisième voie » ou du « nouveau centre », de la droite du centre. Ce pour des raisons tant sociologiques que programmatiques.

Il n’en demeure pas moins des différences, résiduelles peut-être, liées à la tradition, à l’histoire, à des liens encore différents avec l’électorat populaire et avec certaines organisations (mutuelles, etc). Les contradictions entre l’héritage de la social-démocratie et son orientation libérale restent plus vives en France qu’en Allemagne ou en Grande-Bretagne. Non du fait de ses dirigeants, mais en fonction de rapports de forces sociaux moins dégradés dont ils doivent, fût-ce par électoralisme, encore tenir compte.

Une autre approche, consisterait à définir la gauche, non plus par un projet ou un programme (ce serait de plus en plus difficile), mais par des « valeurs ». Ainsi Norberto Bobbio la définissait par la fidélité à un principe d’égalité. Face à la rhétorique de l’équité à la sauce Minc, c’est la moindre des choses. Mais ce jargon des valeurs, aussi volatiles que celles de la Bourse, sert de cache misère au vide politique et ne résout rien.

Plus généralement : si, comme le dit Lénine, la démocratie est « une forme d’Etat », considères-tu la démocratie représentative comme la forme d’Etat « moderne », à laquelle on ne peut qu’être fidèle, si même on y introduit des ajustements ? Ou donnes-tu encore un sens aux oppositions tranchées entre « démocratie formelle » et « démocratie réelle », voire « démocratie bourgeoise » et « démocratie prolétarienne » ?

Il faudrait, mais ce n’est pas ici le lieu, aborder la question de la démocratie du point de vue de ses variations historiques. Une « forme d’Etat » ? Donc une forme tributaire de rapports de classe historiquement déterminés. L’autonomie (« relative », disait-on jadis) de la politique ne saurait justifier une démocratie sans phrases, fantomatique, détachée des rapports de classe. En revanche, je suis de plus en plus réservé envers un raisonnement qui, sous prétexte de renvoyer aux contenus de classe, rabattrait les questions politiques sur une substance sociologique. [Dans mon courant, nous nous sommes trop étripés sur les notions de partis ou d’Etats ouvriers, cherchant dans une « nature » sociale profonde les raisons ultimes des phénomènes politiques. C’est ce qui conduisait à faire du vote pour « les partis ouvriers » une question de principe « malgré les trahisons de leurs directions », ou à défendre inconditionnellement l’Union soviétique comme « Etat ouvrier bureaucratiquement dégénéré » malgré la terreur bureaucratique !]

Démocratie formelle ? Oui, en un certain sens. Les formules de La Question juive à ce propos ont donné lieu à bien des faux procès. La forme a son importance, et ses limites. Le formel n’est pas irréel et le réel n’est pas informel.

Dès lors que la souveraineté descend de la transcendance céleste pour devenir immanente et profane, le problème de la représentativité devient crucial. Loin de résoudre le problème, l’antinomie entre démocratie représentative et démocratie directe a été source de bien des malentendus. Dans cette opposition, la critique de la représentation vise en réalité la délégation, la confiscation, la professionnalisation de la souveraineté. Quant à la démocratie directe sans « représentation » elle ne se conçoit guère qu’à l’échelle du village, du quartier, ou de l’entreprise, et encore ! Chez Lénine il n’est jamais question de mandat impératif, mais de contrôle et de révocabilité des mandataires par les mandats.

Pas de démocratie, donc, sans médiations, sous peine de voir la visée commune dissoute dans une sorte de démocratie corporative. Dans sa polémique contre l’Opposition ouvrière de 1921, Lénine était cohérent par rapport à sa critique dans Que Faire ? contre l’économisme ou le trade-unionisme. La politique n’a pas pour une revendication économique particulière, mais le rapport réciproque de toutes les classes de la société. C’est pourquoi elle n’est pas seulement de l’économie (ou du social) concentré. Elle a son langage propre, ses déplacements et ses condensations, par conséquent une certaine représentation dont les formes font problème.

Faire de la démocratie une abstraction (un fétiche) en lévitation au-dessus des classes relève des mystifications de la logique capitaliste, associées à celles du contrat égal, du suffrage équitable, etc. Sur le terrain de cette démocratie bourgeoise, il y a des batailles limitées à mener, mais, en matière d’institutions, le fil à plomb reste le primat des structures d’auto-organisation et d’autogestion sur les institutions délégataires.

Cette question est évidemment liée à celles de la dictature du prolétariat et du dépérissement de l’Etat. La formule de la dictature, dont le sens était à peu près clair dans le mouvement révolutionnaire du XIXè siècle, s’est chargée au XXe d’un contenu qui la rend inutilisable sans un luxe de précisions et d’explications. Mais le fond du problème demeure : pas de révolution, pas de changement des rapports sociaux, sans passage par l’état d’exception et mise en suspens de l’ordre juridique existant, sans remise en jeu du rapport entre le droit et la force. C’est pourquoi, chez Marx, le concept de dictature du prolétariat ne définit pas un montage institutionnel ou une forme. C’est avant tout un concept stratégique dont la Commune sera « la forme enfin trouvée ». Rupture donc, solution de continuité. Contrairement à ce que dit la chanson, cela ne signifie pas table rase ou page blanche. D’où le thème du dépérissement ou de l’extinction de l’Etat en tant que corps séparé, opposé à la formule anarchiste de son abolition pure et simple. Pour Marx il s’agit de créer les conditions pratiques et matérielles de ce « dépérissement ». Briser le vieil appareil d’Etat est un acte (révolutionnaire), socialiser le pouvoir est un processus.

Pourquoi la participation électorale constituerait-elle une question de principe ? Cela ne revient-il pas à réduire la politique à son moment événementiel, inconditionné, et à considérer le quotidien prosaïque comme une parenthèse entre deux instants critiques ? Etendre le domaine de la politique bien au-delà de la sphère étatique, rester disponible à la surprise de l’événement, ce n’est pas nier la part institutionnelle de la lutte et son importance formelle.

Quand vous avez des élus, quelle vision avez-vous de leur rôle dans les assemblées ? Et quelle est votre doctrine du rapport entre les élus et le parti (la LCR en la circonstance) ? Et à supposer que vous obteniez, seuls ou en coalition, la majorité dans une assemblée (quel que soit son échelon, municipal, cantonal etc.), quelle conception auriez vous de cet accès à la gestion d’Etat ?

Reconnaissons d’abord sportivement que nous sommes d’autant plus vertueux que nous avons peu été exposés à la tentation.La loi électorale se charge de veiller à notre pureté.

A la lumière de notre expérience limitée, quel est le rôle des élus ? Un rôle de contrôle bien sûr d’agitation. Mais aussi un rôle pédagogique. Il y a bien d’autres choses modestes, sur les marchés publics, sur le conseils d’administration des lycées, où des batailles concrètes et publiques sont possibles.

D’autre part, nous nous sommes attachés à donner une image non professionnelle de l’élu en organisant systématiquement des compte-rendu de mandats, en veillant à ce que le salaire (des députés européens) ne soit pas supérieur à celui d’un ouvrier qualifié, en évitant autant que possible la professionnalisation : les élus, quand leur statut le permet, gardent leur travail salarié à mi-temps. C’est ainsi qu’au printemps 2003 nos camarades élus régionaux étaient les seuls conseillers grévistes soumis comme leurs collègues aux retenues sur salaire. Ce n’est certes pas la révolution, mais une contribution modeste à une autre perception de la politique.

Pendant plus de douze ans, nos camarades ont, en alliance avec d’autres courants du PT, été majoritaires dans la municipalité de Porto Alegre. Le bilan n’est pas négligeable, tant sur le plan interne (l’expérience du budget participatif) qu’internationale (Porto Alegre capitale symbolique des résistances à la contre-réforme libérale). Encore faut-il savoir en quoi consiste ce budget participatif récupéré aujourd’hui comme un gadget à la mode par les rhétoriques gestionnaires de droite et de gauche. Il s’agissait originellement d’instaurer une double légitimité, entre le conseil municipal élu au suffrage universel (environ un million d’électeurs) et l’assemblée du budget participatif, représentant environ 50 000 citoyens organisés en comités de quartier. La municipalité « légale » proposait un budget que les comités discutaient et modifiaient.

Généralement, le conseil municipal ratifiait la proposition issue de la démocratie directe des assemblées. C’est d’autant moins une révolution que la marge de choix, une fois payés les employés municipaux, la dette, etc, porte sur les priorités de services sociaux et 5 % seulement du budget. L’expérience à une valeur pédagogique dans la mesure où elle permet des mobilisations concrètes qui viennent se heurter aux politiques du gouvernement fédéral. Cette vertu a changé avec l’avènement du gouvernement Lula. Au lieu d’apparaître comme une alternative aux politiques fédérales de droite, le budget participatif apparaît alors comme un relais des orientations gouvernementales sur la réforme des retraites, le salaire des fonctionnaires, etc. C’est une des raisons de la perte de la municipalité lors des élections de novembre 2004.

Cette pratique (limitée) des rapports entre parti et élus ne constitue pas une « doctrine ». Elle respecte quelques grandes orientations : l’élu est un porte-parole et un relais des mouvements sociaux dans les institutions, et non la courroie de transmission de la raison d’Etat dans ces mouvements. S’il reste soumis à une discipline de parti (dont la forme et l’extension sont variables), ce n’est pas comme le croient les détracteurs par fidélité à un bolchévisme d’un autre âge ; mais parce que c’est le seul contrepoids collectif aux puissantes forces de personnalisation médiatique et de cooptation institutionnelle.

Enfin, quelle conception aurions-nous de la « gestion d’Etat » au cas où nous obtiendrons, « seuls ou en coalition » la majorité dans une assemblée ? C’est une hypothèse que nous avons le plus grand mal à imaginer. Les effets mystificateurs de la citoyenneté formelle, le cercle vicieux du fétichisme et de la réification, l’emprise de l’idéologie dominante sont tels, qu’une prise de conscience graduelle sur le terrain électoral est exclue. Changer le monde passe par un bouleversement radical des rapports sociaux et notamment des rapports de propriété inconcevable sans une crise révolutionnaire au cours de laquelle les masses sont transfigurées et apprennent plus en quelques jours qu’en des années de routine parlementaire. Quant à la machine d’Etat, ’il s’agit toujours de la briser, et non de la gérer telle qu’elle, de désétatiser la politique, de s’engager sur la voie du dépérissement de l’Etat, et d’expérimenter les formes institutionnelles de ce dépérissement.
* Paru [sous un titre différent] dans « La Distance politique » n°1, juillet 2005.